Le Chiapas, c’est le Mexique.
Stop à la guerre contre les peuples et les communautés zapatistes. 5 juillet 2023
Le Chiapas, c’est le Mexique, et au Chiapas sont concentrées aujourd’hui la plupart des violences qui affectent tout le territoire mexicain. La guerre qu’on a imposée à notre pays depuis les États-Unis, et que Felipe Calderón s’est chargé d’approfondir, s’étend désormais à l’ensemble du territoire national. La frontière s’est déplacée vers le Sud-Est, et avec elle la guerre, une guerre que l’administration actuelle n’a pas freinée : 153 941 meurtres [1], 42 935 personnes portées disparues et non localisées [2], 69 journalistes [3] et 94 personnes défenseures de la terre et du territoire, des peuples indigènes et de l’environnement assassinées [4] tout au long du processus continu de recolonisation militarisée et criminelle de l’actuel gouvernement.
Le Chiapas, c’est le Mexique, et comme le reste du pays, le Chiapas vit aujourd’hui des temps d’extorsions, de fusillades, de déplacements forcés, de traite de femmes et de migrants, de trafic de drogue, d’enlèvements, d’assassinats de défenseur.es du territoire et de journalistes, de féminicides…
Les faits sont flagrants : à Chicomuselo, des paramilitaires harcèlent la population pour qu’elle cesse de s’opposer et autorise la réouverture d’une mine de barytine, provoquant des déplacements forcés. À Comalapa, des conflits territoriaux entre groupes du crime organisé provoquent également le déplacement forcé de milliers de personnes. Tout près de Tuxtla Gutiérrez, un camion transportant illégalement des migrants se renverse, provoquant la mort d’au moins 56 personnes et en blessant 70 autres. À Pantelhó, des personnes armées assassinent Simón Pedro, défenseur des droits des peuples indigènes et membre de l’organisation de la société civile Las Abejas de Acteal [« les Abeilles d’Actéal »]. À Santa Martha, municipalité de Chenalhó, des hommes armés attaquent des familles victimes de déplacements forcés et assassinent sept personnes Tzotziles. À San Cristóbal de las Casas, des groupes armés parcourent la ville, exhibant leur capacité de mobilisation et leur arsenal. La liste pourrait s’allonger, car de nouveaux faits de violence se produisent tous les jours dans l’État du Chiapas.
Des groupes du crime organisé, des narco-paramilitaires et des paramilitaires opèrent en toute impunité sur tout le territoire du Chiapas. En réponse, le gouvernement fédéral envoie des soldats et la garde nationale dans un État qui connaît déjà une forte présence militaire depuis 1994. Cette remilitarisation n’a pas entraîné une réduction de la violence et des commerces illégaux ; au contraire, les groupes du crime organisé ont diversifié leurs activités économiques et ont intensifié leurs attaques contre les populations et les communautés.
Dans ce contexte, des groupes paramilitaires et assimilés, qui agissent en toute impunité au Chiapas depuis trois décennies, ont multiplié leurs actions hostiles à l’encontre des populations zapatistes. L’Organisation régionale des producteurs de café d’Ocosingo (ORCAO), qui, au moins depuis l’année 2000, a opéré au service de différents gouvernements, partis politiques et groupes de pression dans la région, a mené, entre 2019 et 2023, plus de 100 attaques contre des villages zapatistes appartenant au Caracol 10, Floreciendo la Semilla Rebelde [« Quand fleurit la semence rebelle »], situé à Patria Nueva [« Nouvelle Patrie »], Conseil de bon gouvernement Nuevo Amanecer en Resistencia et Rebeldía por la Vida y la Humanidad [« Nouvelle aube en résistance et en rébellion pour la vie et l’humanité »]. Les attaques, agressions et provocations sont constantes et se sont intensifiées depuis 2019.
Les autorités zapatistes, les organisations de défense des droits humains et au moins trois missions civiles d’observation ont documenté et publié ces faits dans des rapports publics et des conférences de presse. Nous annexons à cette déclaration, un compte-rendu détaillé de plusieurs de ces attaques.
À partir du soutien national et international à l’Armée zapatiste de libération nationale et au Congrès national indigène, nous avons réalisé le 8 juin 2023, au Mexique et dans le monde 72 actions (36 nationales et 36 internationales) pour rendre visibles les accusations de ces actes et pour exiger l’arrêt de la guerre contre les peuples zapatistes et l’arrêt de la guerre au Chiapas. Ces actions de solidarité se sont poursuivies dans différents États du Mexique et différents pays. Les réponses sont arrivées quelques semaines plus tard : du 19 au 22 juin 2023, des membres de l’ORCAO ont effectué de nouvelles attaques coordonnées contre trois communautés zapatistes : Emiliano Zapata, San Isidro et Moisés y Gandhi, qui font partie de la région Moisés y Gandhi, et sont situées dans la municipalité officielle d’Ocosingo, au Chiapas. Les attaques vont de l’incendie de parcelles à des attaques armées. Cette fois, les agressions ont duré trois jours et on a compté pas moins de 800 coups de feu de différents calibres, ainsi que l’incendie de parcelles proches de maisons des familles zapatistes.
Le 23 juin, pendant sa conférence matinale depuis le Chiapas, le chef du gouvernement fédéral, accompagné de la ministre de l’Intérieur, du ministre de la Défense nationale et du gouverneur local, a minimisé la gravité de la situation de cet État ainsi que les attaques amplement documentées contre les communautés zapatistes. De plus, il a continué à discréditer les organisations et les personnes qui défendent le territoire, les droits humains et les organisations qui informent et dénoncent ces violences ainsi que d’autres.
Ces réponses, autant celles de l’ORCAO que celle du président du Mexique, nous préoccupent et nous alarment : l’ORCAO va continuer et augmenter ses actions armées tant que le président du Mexique couvre, par son discours, des actes graves de violence qui sont clairement en augmentation. Le déni, la minimisation et la déformation de cette réalité avérée se transforment en une chape d’impunité qui protège les groupes paramilitaires.
Pire encore, le président du Mexique a repris le discours de ses prédécesseurs quand ils affirmaient qu’il s’agissait de conflits entre groupes locaux ou « entre communautés », ce qui revient à éluder toute responsabilité de l’État et à imiter Felipe Calderón et son offensif : « Ils se tuent entre eux ».
Ce panorama nous pousse en tant que personnes, peuples et communautés organisées, au Mexique et dans d’autres parties du monde, à redoubler d’efforts pour arrêter la guerre contre les communautés zapatistes et au Chiapas. Aujourd’hui, nous ratifions que non seulement le gouvernement actuel ne nous écoute pas mais qu’en plus, il permet et soutient une stratégie de guerre contre-insurrectionnelle et criminelle. Pour toutes ces raisons, nous appelons à :
1. Dénoncer la guerre contre les peuples zapatistes et au Chiapas en général et à souligner la responsabilité du gouvernement du Chiapas et du gouvernement fédéral.
2. Organiser des campagnes d’information et d’actions de solidarité dans tout le pays et dans d’autres pays pour informer au sujet de cette guerre contre les peuples et les communautés zapatistes et concernant la guerre au Chiapas.
3. Depuis cet espace de coordination nationale, nous convoquons à la Journée d’action globale « Stop à la guerre contre les peuples zapatistes. De l’horreur de la guerre à la résistance pour la vie », les 13, 14, 15 et 16 juillet dans le but d’informer la société sur la situation de guerre contre les peuples zapatistes et au Chiapas. Cette journée comportera :
a) des distributions de tracts et de la diffusion d’information
b) des stands d’information
c) des évènements artistiques
d) des mobilisations.
Du 24 au 28 juillet, nous réaliserons également un forum national axé sur trois thématiques : violence, justice et paix. Nous partageons aussi le fait que nous sommes en mesure de réaliser un travail d’observation et d’accompagnement en territoire zapatiste lorsque les conditions le permettront. Nous appelons à déployer toute la solidarité possible avec les peuples zapatistes, à ne pas tomber dans l’indifférence et l’échappatoire individualiste face aux attaques que vivent quotidiennement les peuples et les communautés du Chiapas. Le Chiapas, c’est le Mexique et aujourd’hui le Mexique et le monde doivent regarder et agir contre la guerre et en faveur de la paix, avec justice et dignité.
Espace de coordination nationale « Stop à la guerre contre les peuples zapatistes ».
[1] Données du gouvernement fédéral.
[2] Données du Registre national des personnes disparues et non localisées.
[3] Données du gouvernement fédéral.
[4] Mémorial des défenseur.es assassiné.es (Mémorial du HRD).